LE SILENCE DANS LA BIBLE

Au quotidien, les journées saturées de bruits, d'informations, de communications, de mouvements, d'obligations de toutes sortes laissent peu de temps et d'espace au silence.

 

Et pourtant, la soif de silence est bien réelle. Heureuse et têtue, elle est toujours tapie dans le cœur de l’homme. Elle conduit ainsi les pèlerins sur les chemins de Compostelle ou d'ailleurs. 


Elle mène les assoiffés d'intériorité vers les lieux spirituels que sont les monastères, les sanctuaires, les lieux de retraite, ou encore au cinéma … il y a quelques années avec le succès inattendu du film de Philip Gröning sur les Charteux (Le grand silence).

 

Mais de quel silence s'agit-il ? Le dictionnaire définit simplement le silence comme l'absence de bruit, de parole. Le silence est pourtant multiple. Il peut être imposé, comme par exemple dans une bibliothèque ou une salle d'examen. Il peut aussi s'imposer à la manière des points de ponctuation.

 

Certes, nécessaire au travail de la pensée, il féconde la capacité de jugement, aiguise la conscience et le discernement. Il peut être le fond sur lequel le peintre dialogue avec la toile vierge. Il a une place éminente pour le musicien dont l'art consiste à faire tinter le silence entre les notes, et pour les poètes et les écrivains à l'écoute des subtiles résonances qu’ils murmurent dans les mots qu'ils entrelacent de silence.

 

Mais quand on étudie la Bible et les grandes figures spirituelles judéo-chrétiennes de plus près sur la thématique du silence, il apparaît clairement différents types de posture et de combats intérieurs face aux silences de Dieu et des hommes.

Silence de Dieu ?

« Au commencement la Parole était Dieu » (Jn 1,1) mais à la manière d’un « mystère enveloppé de silence aux siècles éternels » (Rm 16,25) jusqu’à ce qu’elle se révèle à l’homme.

 

Dans l’Ancien Testament, pour inquiéter son peuple pécheur, Dieu ne parle plus à travers ses prophètes (Ez 3,25). Après avoir parlé si souvent Dieu semble se taire quand arrive le temps de l’impiété (Ha 1,13). Il ne répond plus à la prière de Job (Jb 30,20), ni à celle des psalmistes (Ps 83,2 et 109,1).

 

Pour le peuple d’Israël qui veut écouter son Dieu, ce silence est perçu comme un châtiment (Is 64,11), il signifie l’éloignement de son Seigneur (Ps 35,22), il équivaut à une condamnation (Ps 28,1), il annonce le « Silence » du shéol, où Dieu et l’homme ne se parle plus (Ps 94,17 et 115,17). Le dialogue n’est cependant pas définitivement rompu, car le silence de Dieu est aussi un reflet de sa patience aux jours d’infidélité des hommes (Is 57,11).

 

« Il est bon d’attendre en silence le secours de l’Éternel. » (Lam. 3.26) Ce silence a duré quatre siècles, entre le dernier prophète de l’Ancien Testament : Malachie, et l’annonce de « celui qui vient ». Entre la promesse que Dieu va venir, et la réalisation de la promesse, jusqu’au jour dans le désert ou Jean Baptiste rompt le silence : la Parole arrive.

Silences de l'homme

« Il y a un temps pour se taire et un temps pour parler » (Qo 3,7). Cette phrase peut être entendue à divers degrés de profondeur. Au fil des jours, le silence peut signifier l’indécision (Gn 24,21), l’approbation (Nb 30,5,16), la confusion (Ne 5,8), la peur (Est 4,14) : l’homme marque sa liberté en retenant sa parole pour éviter la faute (Pr 10,19) surtout au milieu des bavardages ou de jugements inconsidérés (Pr 11,12 ; 17,28 Jn 8,6).

 

Mais au-delà de cette sagesse qui pourrait rester humaine, c’est Dieu qui fonde chez l’homme les temps du silence et de la parole. Le silence devant Dieu peut traduire la honte après le péché (Jb 40,4 ; Rm 3,19 ; Mt 22,12) ou la confiance dans le salut (Lm 3,26 ; Ex 14,14). Mais dans d’autres circonstances, ne pas parler serait manquer de fierté et ne pas confesser Dieu (Mt 26,64 ; Ac 18,9 ; Co 4,13) : on ne peut pas alors garder le silence (Jr 4,19 ; 20,9 ; Is 62,6 Lc 19,40).

 

Quand Dieu va visiter l’homme, la terre garde le silence (Ha 2,20 ; So 1,7 ; Ps 76,9 ; Ap 8,1), et quand il est venu un silence de crainte ou de respect signifie l’adoration de l’homme (Lc 9,36). Ce silence humble est pour celui qui médite dans son cœur (Lc 2, 19) non seulement l’accès au repos (Ps 131,2) mais aussi l’ouverture à la Révélation.

 

Mais pour le Christ lui-même, combien de silences pour combien de paroles ? Jésus «parlait», certes, mais c’est aussi parfois par ses silences qu’il obligeait les gens à progresser dans leur recherche de Dieu. 

Abraham

Dès que Dieu l’appelle, Abraham part « comme le lui avait dit le Seigneur » (Gn 12,4) : son cœur est tout « soumis à la Parole », il obéit. Homme de silence, Abraham s’exprime d’abord par des actes : il construit un autel à Dieu. Plus tard seulement apparaît sa première prière en parole.

 

Puis, au mont Moriah, Abraham sait que Dieu, d'une certaine façon, lui a promis la résurrection de son fils. Mais il sait aussi qu’il doit obéir et marcher. Et pendant tous ces jours où il monte vers le Moriah avec son fils, le serviteur, le bois... tout le monde se pose des questions « Où est le sacrifice, père ?  On a le bois, on a le feu, mais où est le sacrifice ? »

 

Abraham aussi devait également se poser des questions. Mais s’il avait eu une parole d’encouragement, si on lui avait mis des panneaux le long du chemin pour l’encourager... on aurait éliminé le questionnement, la maturation, le conflit du silence de Dieu dans sa vie. Pourtant c’est au travers de ce conflit intérieur, face à ce silence insoutenable, déchirant, mais accompagné de la Parole de Dieu, qu’Abraham change. Et d’ailleurs en arrivant là-haut, son nom même est changé. Il devient l’ami de Dieu.

 

Abraham a compris que silence ne veut pas dire absence. Que le silence ne veut pas dire que Dieu se désintéresse, mais qu'il signifie tension et transformation de vie. 

Job

Ce monde du silence vient heurter l’homme qui a besoin de compréhension pour être en sécurité. Le silence, c’est le défi à sa raison. En face du silence de l’infini de Dieu, l’homme prend conscience de sa finitude, de sa limite d’homme. Là se crée l’espace pour la foi en Dieu. Le philosophe Nietzsche disait : « Si je connais le pourquoi, je peux endurer tous les comment ». Ce silence-là est celui qui en appelle le plus à notre Foi en la souveraineté de Dieu sur notre vie. Ici la Foi, c’est croire que la nuit n’est pas ténèbres, que le silence n’est pas abandon ou absence.

 

Job, contrairement au silence d’Abraham, n’obtient aucune explication, il ne lui est donné aucune promesse, aucune parole. Il est précipité dans la mort des siens, la maladie, la souffrance, et il est entouré du silence. Ce silence durera, selon certains commentateurs, quarante ans. De plus Job doit se battre contre les paroles vaines de ses amis, de ceux qui veulent rompre ce silence insoutenable pour la raison. Job leur dit : « Que n’avez-vous gardé le silence ! »

 

Que de bavardages, face aux Job d’aujourd’hui ! Que de paroles vaines qui finalement montrent la peur du silence, la peur de la rencontre avec soi-même. Si Abraham retrouve son fils après l’épreuve du silence, Job après son épreuve, ne retrouve pas ses enfants. Il en aura d’autres, mais cela ne sera jamais plus comme avant : Job garde la blessure du silence.

Job, s’il est placé face au silence de Dieu, ne reste pas, lui, dans le silence ! Il parle, il crie, il dit sa colère, son malheur à Dieu. Job apprend  à ne pas tout comprendre de Dieu, il apprend que Dieu ne se réduit pas à l’image qu’il se fait de lui. Dans nos silences, dans nos conflits intérieurs, nous expérimentons bien souvent que « la paix surpasse toute intelligence » (Philippiens 4,7).

 

Au fond de son silence de la nuit inexplicable, celle dont parle Jean de la Croix, Job dit (19,25) : « Je sais que mon Rédempteur est vivant et qu’il se lèvera le dernier ».

Le nom de Dieu

A travers les paroles de la Révélation, Dieu confie son nom à ceux qui croient en Lui : il se révèle à nous dans son mystère personnel.

Le don du nom appartient à l’ordre de la confidence de l’intimité silencieuse. « Le nom du Seigneur est Saint ». C’est pourquoi l’homme ne peut en abuser.

 

Il doit le garder en mémoire dans un « silence d’adoration aimante » (Za 2,17).

Il ne peut le faire intervenir dans ses paroles que pour le bénir, le louer et le glorifier. Cette déférence à l’égard de son nom exprime celle qui est due au mystère de Dieu lui-même et à toute la réalité sacrée qu’il évoque.

Mon Dieu pourquoi m'as-tu abandonné ?

Reste que ce silence «en» et «avec» Dieu n'est pas donné d'avance. Et que nul ne peut le contraindre à s'établir. « On ne peut que se mettre en condition de le recevoir, en état de disponibilité et d'hospitalité intérieure, ce qui nécessite beaucoup d'attention et de persévérance, et surtout d'humilité », précise l'écrivain Sylvie Germain : « Humilité d'un retrait de soi à opérer au-dedans de soi-même, d'un long évidement de son « moi », d'un grand allègement de son esprit à désencombrer et de ses sens à épurer et aiguiser à la fois. Le silence, pour advenir et se déployer, a besoin d'espace, d'un vaste et calme espace intérieur, il ne supporte aucune pression. »

 

Rencontre-t-on toujours Dieu dans le silence ? C'est, d'une certaine manière, sans garantie. Dans son approche sans fin de Dieu, le cœur écoutant affronte aussi, et parfois intensément, le silence de Dieu, voire l'absence radicale de Dieu.

 

Au mont des Oliviers, le Christ a été confronté à cet absolu du silence de Dieu et sur la croix, il a posé comme Job, comme les prophètes et les psalmistes aux heures de détresse, cette question : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? ». Encore que selon Frédéric Trautmann, dans son exposé sur l’Ethique au cycle d’initiation, pour lui il s’agit d’une parole de confiance en Dieu : les premiers mots du psaume 21 qui sur la fin témoignent surtout d’une confiance éperdue en Dieu.

Le silence lié à la mort

Avant la venue de Jésus, la mort est présentée comme un lieu de silence : le Shéol. La bible hébraïque le décrit comme une place sans confort, où tous, justes et criminels, rois et esclaves, pieux et impies se retrouvent après leur mort pour y demeurer dans le silence et redevenir poussière. La symbolique est présente : descendre au séjour des morts, c’est descendre dans un lieu de silence.  Descendre vers le rien, le néant. Un lieu de silence négatif.

 

Tout au long des siècles, et aujourd’hui encore, l’homme a inventé toutes sortes de subterfuges pour tenter de remplir ce silence insupportable de la mort. De la réincarnation en passant par le New-Age, afin d'éviter la confrontation à ce silence qui nous angoisse. Silence existentiel peut-être ? L’homme en tout cas invente beaucoup de bruits pour remplir ses silences.

 

Pour nous qui sommes chrétiens, depuis que Jésus est venu, mort et ressuscité, ce lieu n’est plus un lieu de silence. Il est désormais habité par la Parole de Dieu, par Jésus lui-même. Mourir, ce n’est plus descendre dans un lieu de silence, c’est aller vers la Parole de Dieu. C’est rencontrer le Christ.

 

Et nous pouvons dire : nous savons où nous allons, nous allons vers la maison du Père, lieu habité par sa Parole. Si ce silence était  angoissant pour les hommes de l’Antiquité, pour le chrétien c’est un problème qui est résolu. Il n’y a plus de silence de Dieu dans l’au-delà. Le Christ habite ce lieu. Ce silence est habité par le Seigneur.


RESURREXIT PORTAIL FOI CATHOLIQUE JEROME MUTIN